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Hommage à Victor petit de la Rhodière, touche à tout de génie

 

Né le 23 juillet 1925 à Saint-Benoît, Victor Petit de la Rhodière a tiré sa révérence le 23 juillet 2013, deux jours après avoir fêté son 88ème anniversaire. Je me souviens qu’en 1977, j’avais économisé sur mon – maigre – argent de poche pour acheter un petit fascicule à la couverture grisâtre qui avait attiré mon regard dans une librairie de Saint-Denis, près du jardin de l’Etat. Cet opus, écrit par Victor Petit de la Rhodière avait pour titre : « La vérité sur l’affaire Sitarane » et demeure à mes yeux le récit le plus fidèle de l’aventure sanguinaire qui secoua l’île au début du XXème siècle.

 

J’ai eu l’insigne honneur de le connaître et d’apprécier le personnage. Je l’ai rencontré plusieurs fois dans sa petite maison Tomi de la rue Archambaud, à la Ravine des Cabris. Homme aux multiples casquettes, témoin de son temps, il était une source inépuisable d’inspiration  et d’information pour le passionné d’histoire que je suis. Avec son concours, j’ai écrit plusieurs articles dans le JIR, en mai et juin 1998 dans la série « Au cœur de… ». J’ai eu le bonheur d’écrire un article sur lui dans le magazine « Visu », en février 2011

 

Pour moi, écouter Victor petit de la Rhodière, c'était voyager dans le temps. Au fil de ses paroles, les décennies défilaint et l'on se retrouvait plongé dans la Réunion de l'après-guerre, dans les années cinquante, avec le début de la départementalisation, les années soixante, soixante dix...

 

Lors de notre dernière rencontre en février 2011, il avait 86 ans et encore plein de projets d'écriture. Touche à tout de génie, il avait commis plusieurs ouvrages dont le plus célèbre, « la vérité sur l'affaire Sitarane » publié en 1974, fut un véritable best-seller à l'échelle de la Réunion, avec plus de 5 000 exemplaires vendus!

 

Pourquoi avoir écrit sur Sitarane, dont le nom, un siècle après qu'il a été guillotiné en place publique à Saint-Pierre, est toujours l'objet de mystères et de tabous liés à des pratiques occultes, et dont la tombe est constamment ornée d'offrandes diverses? « C'est justement à cause de ces histoires de sorcellerie » m’avait expliqué  Victor petit de la Rhodière.

 

Pour écrire ce qui reste sans doute à ce jour l'ouvrage le plus documenté sur la série de crimes imputés à Sitarane et à ses comparses en 1909, notre homme s'est livré à un travail de moine bénédictin, consultant toutes les archives auxquelles il a pu avoir accès, rencontrant des personnes âgées dont certaines avaient connu le fameux Sitarane. « On m'a dit que c'était pas un mauvais boug'. Un type normal qui ne se faisait pas remarquer... Parmi les gens que j'ai rencontrés, certains me disaient: ne parlez pas de ça! D'autres en parlaient, mais on sentait chez eux une certaine peur. »

 

Au final, un ouvrage bien écrit, riche de détails et de repères historiques, qui connut pour l'époque (en 1974) un franc succès que l'auteur résume par cette pensée: « Vous savez, tout ce qui parle de sorcellerie à la Réunion... » Ne retrouvant plus chez moi le livre que j’avais acheté en 1977 (« La vérité sur l’affaire Sitarane »), je lui demandais lors d’une de nos rencontres, s’il ne lui en restait pas un exemplaire.  Avec un sourire, il me déclara : « Ah bon ? Vous aussi, vous avez perdu votre livre ? J’ai rencontré pas mal de gens qui l’ont acheté, et qui l’ont égaré. Certains y voient là l’œuvre de Sitarane… »

 

Quelques minutes plus tard, après avoir fouillé patiemment dans ses archives – un joyeux capharnaüm – il me remettait le manuscrit de son livre…

Il me revient une autre anecdote : sa fille, que j’avais rencontré fortuitement au début de cette année lors de la journée Unesco organisée par Gilles Gauvin au lycée Pierre Lagourgue, à Trois Mares m’avait confié qu’elle et son frère avaient passé des journées aux Archives Départementales (qui étaient encore à Sainte-Clotilde, près du campus universitaire) à consulter des montagnes de documents et à les recopier pour aider leur père dans la rédaction de « La vérité sur l’affaire Sitarane ».

 

Mais avant de se lancer dans l'écriture, Victor petit de la Rhodière fut employé au service des Ponts et Chaussées (ancêtre de feue la DDE). Un épisode de sa vie partagé entre Saint-Denis et Hell-Bourg où il eut la responsabilité d'une petite centrale électrique dont on peut voir les ruines sur le site des anciens thermes.

 

L'histoire de cette micro-cenrtale vaut sa pinte de pistaches grillées, surtout racontée par Victor petit de la Rhodière: « Juste après la guerre, le gouverneur Capagorry effectue une visite à Salazie et se rend à Hell-Bourg. Une dame Potier, habitant Saint-Denis, mais ayant une villa de changement d'air à Hell-Bourg interpelle le gouverneur et lui demande de remplacer la petite centrale qui fournissait un min rai de lumière aux habitants du village. De retour à Saint-Denis, le gouverneur convoque M. Duchateau, ingénieur des Ponts et Chaussées et le charge de réaliser une micro-centrale. Lorsque ce fut fait, je suis allé à hell-Bourg avec M. Duchateau qui m'a demandé si je voulais m'occuper de la petite centrale. J'ai dit oui et je suis resté la-bas jusqu'en 1960! »

 

Adieu Hell-Bourg et sa centrale, et bonjour le littoral. D'abord dans l'Est, puis dans le Sud, Victor petit de la Rhodière lança une activité nouvelle autant qu'originale: le cinéma ambulant. Après quelques temps dans l'Est, il mit cap au Sud et sillonna inlassablement les chemins de Saint-Pierre, Saint-Louis, les Avirons, Petite Ile...

 

Il dut parfois compter avec la vigilance des curés lorsque les projections avaient lieu dans les salles paroissiales. Victor devait alors se pliait  aux exigences  du « code de moralité »  qui classait impitoyablement les films. Le moindre baiser, la moindre épaule un peu trop dénudée, et le film était censuré!

 

En ce temps-là, racontait Victor, le spectacle était le plus souvent dans la salle que sur l'écran, les spectateurs n'hésitant pas à commenter les moindres faits et gestes des acteurs. C'est d'ailleurs de cette époque du cinéma ambulant que datent les expressions - tombées en désuétude -  comme « un claque Fernandel » ou « un gauche Constantine » en référence aux  mandales distribuées pour les besoins du cinématographe par Fernandel ou Eddie Constantine...

 

Dans les années soixante-dix, Victor Petit de la Rhodière s’était reconverti dans le tourisme et avait créé le « Tourisme à Grande Vitesse », accompagnant les touristes sur les plus beaux sites de l’île. Il avait également écrit plusieurs guides touristiques sur Cilaos, et surtout Salazie, car lors de son séjour à Hell-Bourg, il avait crée, en plus d’un club de football, le syndicat d’initiative.

 

A l'automne de sa vie, Victor petit de la Rhodière a gardé sa liberté de penser. Certains, lorsque l'âge leur courbe l'échine, deviennent croyants après avoir été mécréants toute leur vie. Victor lui, appréciait de lire la Bible tout en se faisant une certaine idée des religions en général. Pessimiste joyeux ou optimiste inquiet? Il était sans doute un peu tout cela à la fois...

© 2016 histoiredamour974

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